Sous-traitance sur chantier : quels recours pour le maître d’ouvrage en cas de désordre ?
La sous-traitance s’est imposée comme un maillon incontournable de l’activité de construction immobilière. Face à la complexité croissante des chantiers, les entreprises de bâtiment ont recours, de manière quasi systématique, à des sous-traitants pour exécuter une partie des travaux.
Cette délégation d’exécution, si elle permet une meilleure répartition des compétences et une optimisation des coûts, soulève également des enjeux juridiques majeurs. Derrière une apparente simplicité se cache un régime strictement encadré par la loi du 31 décembre 1975, dont le non-respect peut entraîner de lourdes conséquences juridiques et financières.
Ce cadre juridique déjà exigeant révèle toute sa complexité lorsque des désordres surviennent après les travaux. Infiltrations, fissures, malfaçons visibles, défauts structurels : autant de problèmes qui soulèvent immédiatement une question aussi essentielle que délicate pour le maître d’ouvrage : a qui incombe la faute ? vers qui se tourner pour obtenir réparation ?
En effet, bien que les sous-traitants interviennent directement sur le chantier et participent activement à l’exécution des travaux, ils n’ont pourtant aucun lien contractuel avec le maître d’ouvrage et sont considérés comme des tiers. Ce dernier se retrouve face à une énigme juridique : comment engager la responsabilité d’un intervenant qu’il n’a pas lui-même choisi, ni même parfois identifié ?
C’est là que les mécanismes juridiques deviennent des outils indispensables pour faire valoir ses droits. Si le sous-traitant n’a pas de lien direct avec le maître d’ouvrage, cela ne signifie pas pour autant qu’il est à l’abri de toute responsabilité. Plusieurs leviers permettent d’obtenir réparation et de faire jouer les garanties d’assurance.
Ainsi, que l’on soit maître d’ouvrage, entrepreneur principal ou sous-traitant, connaître les règles de la sous-traitance est essentiel pour sécuriser juridiquement sa position et prévenir les litiges.
Cet article vous propose un résumé de l’essentiel à connaitre en matière de sous-traitance, responsabilités et assurances.
Sous-traitance : de quoi parle-t-on ?
La sous-traitance est une opération par laquelle un entrepreneur confie à un tiers (le sous-traitant) l’exécution d’une partie des travaux qu’il s’est lui-même engagé à réaliser pour le compte du maître d’ouvrage.
Cependant, tous les prestataires ne peuvent être juridiquement qualifiés de sous-traitants. Pour qu’il y ait sous-traitance au sens de la loi, plusieurs conditions doivent être réunies :
a) Un contrat d’entreprise principal valide
L’entrepreneur principal doit être lié au maître d’ouvrage par un véritable contrat d’entreprise, c’est-à-dire un contrat par lequel il s’engage à réaliser un ouvrage en contrepartie d’un prix.
En outre, ce contrat ne doit ni interdire la sous-traitance, ni avoir été conclu intuitu personae (en considération des qualités personnelles de l’entrepreneur). À défaut, la sous-traitance réalisée sans autorisation est irrégulière et peut entraîner des sanctions : refus de paiement, résiliation du contrat, ou mise en cause de la responsabilité de l’entrepreneur.
b) Un intervenant indépendant et une prestation spécifique
Le sous-traitant doit être indépendant (autonome) par rapport à l’entrepreneur principal et doit réaliser un travail spécifique c’est-à-dire qu’il doit mettre en œuvre une technique de fabrication, construction spécifique adaptée au chantier.
Par exemple, ne constitue pas une sous-traitance : la simple fourniture d’équipements standards ou non individualisés, la fourniture sans prestation de pose et sans spécificités techniques, l’approvisionnement ou la mise à disposition de matériel et personnel, la vente d’un produit, même sur mesure, sans implication technique complexe
c) Un lien direct avec l’exécution du contrat principal
Le travail confié au sous-traitant doit viser exclusivement à exécuter tout ou partie de la prestation prévue dans le contrat principal. Il ne s’agit donc pas d’une prestation accessoire ou indépendante.
d) Un contrat de préférence écrit
Sauf dans le cas particulier des contrats de construction de maison individuelle, aucune forme écrite n’est exigée par la loi. Toutefois, en pratique, un contrat écrit est vivement recommandé pour des raisons de preuve, notamment si le maître d’ouvrage demande communication du sous-traité.
Les exigences de la loi de 1975 visant à protéger le sous-traitant
La loi du 31 décembre 1975 exige deux obligations majeures dans la relation tripartite maître d’ouvrage-entrepreneur-sous-traitant visant à protéger les sous-traitants contre les risques d’impayés en cas de défaillance de l’entrepreneur principal.
- Le cautionnement bancaire obligatoire: pour que la sous-traitance soit valide, l’entrepreneur principal doit fournir une caution bancaire personnelle et solidaire dès la conclusion du contrat. A défaut, le contrat peut être annulé à l’initiative du sous-traitant.
- L’entrepreneur peut voir sa responsabilité engagée pour le préjudice subi par le sous-traitant
- Le maître d’ouvrage peut voir sa responsabilité engagée s’il a eu connaissance de la présence d’un sous-traitant mais n’a pas demandé la preuve du cautionnement à l’entrepreneur principal comme la loi lui oblige.
- L’acceptation du sous-traitant et l’agrément des conditions de paiement: la loi permet au sous-traitant d’exercer une action directe en paiement contre le maître d’ouvrage si l’entrepreneur principal est défaillant dans son paiement. Mais cette action n’est ouverte que si le maître d’ouvrage a accepté le sous-traitant et a agréé les conditions de paiement. A défaut, l’action directe en paiement est fermée pour le sous-traitant. Mais cela entraine également :
- Pour l’entrepreneur principal : il peut voir sa responsabilité engagée. Le sous-traitant peut s’affranchir du contrat
- Pour le maître d’ouvrage : il peut avoir sa responsabilité engagée et ne pourra pas s’opposer à l’action en paiement s’il a eu connaissance de la présence d’un sous-traitant mais n’a pas mis en demeure l’entrepreneur de lui présenter le sous-traitant comme la loi lui oblige.
La responsabilité en cas de désordres
La chaine de contrat provoquée par la sous-traitance soulève d’importantes questions lorsque des malfaçons apparaissent dans l’ouvrage : qui peut être tenu responsable ? quelles actions sont possibles pour le maître de l’ouvrage ? et pour l’entrepreneur ? quelles garanties et assurances peuvent être mobilisées ?
-
Vous êtes maître de l’ouvrage
En cas de désordres, le maître d'ouvrage peut engager :
- La responsabilité de l’entrepreneur principal: l’entrepreneur est le seul interlocuteur avec qui le maître de l’ouvrage a conclu un contrat. Il doit répondre de l’ensemble des malfaçons y compris celles commises par ses sous-traitants (même si ceux-ci n’ont pas été acceptés et agréés)
- Responsabilité contractuelle de droit commun pour toute mauvaise exécution du contrat
- Responsabilité décennale en cas de dommage affectant la solidité de l’ouvrage ou le rendant impropre à sa destination (prescription : 10 ans à compter de la réception)
- Garantie biennale et garantie parfait achèvement.
- La responsabilité du sous-traitant :
Le maître de l’ouvrage peut engager sa responsabilité pour les désordres relevés dans la partie des travaux sous-traités. Dès lors qu’il n’existe aucun contrat entre eux, la responsabilité est nécessairement extracontractuelle. Il faut alors prouver une faute, un dommage et un lien entre la faute et le dommage.
La faute peut résulter de l’inexécution ou de la mauvaise exécution du contrat de sous-traitance. Cette faute peut par exemple résulter d’un manquement à l’obligation de résultat ou d’un manquement à l’obligation d’information. Mais elle est donc plus difficile à engager car le maître d’ouvrage devra prouver une faute à l’inverse de la responsabilité de l’entrepreneur où la faute est présumée.
Cette action en responsabilité extracontractuelle se prescrit par 10 ans à compter de la réception des travaux (Article 1792-4-3 du C.civ)
Selon une jurisprudence constante, l’entreprise principale et le sous-traitant peuvent être condamnés, sur des fondements juridiques différents, à réparer le préjudice subi par le maître d’ouvrage in solidum.
-
Vous êtes entrepreneur principal
En cas de mauvaise exécution du contrat ou d’action du maître d’ouvrage relatif à des désordres sur des travaux du sous-traitant, vous pouvez vous retourner contre lui sur le fondement de la responsabilité contractuelle et notamment sur son manquement :
- A son obligation de résultat : un sous-traitant doit exécuter une prestation dans les règles de l’art et livrer un ouvrage exempt de vices. Il est tenu à une obligation de résultat : l’absence du résultat attendu suffit pour engager sa responsabilité
- A son obligation de renseignement et de conseil : le sous-traitant est tenu de se renseigner sur les contraintes que l’ouvrage qu’il réalise aura à supporter et doit informer l’entrepreneur sur les particularités tenant à sa compétence
Le sous-traitant a-t-il une obligation de s’assurer ?
Le sous-traitant est certes un intervenant dans le chantier mais il n’est toutefois pas considéré comme un constructeur juridiquement car il n’est pas directement lié avec le maître d’ouvrage. Ainsi, les sous-traitant n’ont pas une obligation de souscrire à une assurance décennale à la différence des constructeurs.
Pour autant, les sous-traitants peuvent avoir souscrit à une assurance décennale avant d’intervenir sur un chantier (s’ils sont constructeurs sur un autre chantier par exemple).
Dans ce cas, les garanties de cette assurance décennale ne seraient pas mobilisables dans le cas du chantier de sous-traitance.
En revanche, la responsabilité civile professionnelle doit couvrir le sous-traitant s’il est condamné envers le maître d’ouvrage.
La règle selon laquelle les sous-traitants ne sont pas des constructeurs soumis à l’obligation d’assurance décennale pourrait aujourd’hui être sérieusement discutée. En effet :
- ils participent matériellement à la construction de l’ouvrage
- leur responsabilité civile peut être recherchée pendant 10 ans à compter de la réception de l’ouvrage
- ils sont tenus à une obligation de résultat envers l’entrepreneur c’est-à-dire que dès lors que le résultat contractuellement convenu n’a pas été atteint, leur responsabilité est présumée sans devoir prouver une faute
Finalement, l’unique différence qui explique cette absence d’obligation est l’absence de lien contractuel avec le maître de l’ouvrage.
Or, cela crée d’importantes conséquences défavorables aux sous-traitants d’un point de vue assurantiel. Les sous-traitants n’étant pas des constructeurs soumis à l’obligation de Responsabilité Civile Décennale, ils ne peuvent souscrire que des assurances facultatives. Cependant, les garanties stipulées dans ces polices d’assurances facultatives offrent une moins bonne protection car le contenu est beaucoup plus libre et donc soumis à la liberté contractuelle. Les sous-traitants peuvent donc être moins bien protégés que leurs homologues constructeurs.
Si vous avez des questions ou un litige à ce sujet, Me Louise BARGIBANT se tient à votre disposition, n'hésitez pas à la contacter.
Article rédigé par Apolline DEKEISTER, stagiaire LBA AVOCATS
Sous la direction de Me Louise BARGIBANT
- Dernière mise à jour le .