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Transport aérien : la grève "sauvage" du personnel n'empêche pas l'indemnisation des passagers !

En cette période de mouvements sociaux importants, un arrêt de la CJUE en matière d’indemnisation de retards et annulations de vol retient toute notre attention.

Dans cet arrêt rendu le 17 avril 2018 (CJUE, 17 avril 2018, aff. C-195/17, Krüsemann e.a.), il était question des conséquences de la grève du personnel navigant de la compagnie aérienne allemande TUIfly sur l’indemnisation des passagers de la compagnie aérienne ayant subi des retards et annulations de vol.

Le 30 septembre 2016, la direction de la compagnie aérienne allemande TUIfly avait annoncé à son personnel, par surprise, un plan de restructuration de l’entreprise.

S’en était suivi une « grève sauvage » du personnel navigant lequel s’était placé majoritairement en situation de congé maladie.

En effet, entre le 1er et le 10 octobre 2016, le taux d’absentéisme pour cause de maladie, habituellement de l’ordre de 10 %, a atteint jusqu’à 89 % en ce qui concerne le personnel navigant technique et jusqu’à 62 % en ce qui concerne le personnel navigant commercial.

En raison de cette « grève sauvage », de nombreux vols de TUIfly avaient donc été annulés ou avaient subi un retard à l’arrivée de trois heures ou plus.

Dans ce contexte, certains passagers demandaient à la compagnie d’être indemnisés.

La compagnie TUIfly avait refusé l’indemnisation des passagers ayant subi ces retards ou annulations en se prévalant de cette « grève sauvage » estimant  qu’il s’agissait de « circonstances extraordinaires » permettant à la compagnie aérienne de se libérer de son obligation d’indemnisation.

Rappel sur le régime d’indemnisation

Selon le règlement (CE) 261/2004 les passagers aériens peuvent prétendre à une indemnisation forfaitaire allant de 250 € à 600 € par personne dans le cas :

  • d'une annulation de vol,
  • d'un retard (la règlementation européenne considère un vol en retard à partir de 2 heures ou plus pour les vols jusqu’à 1500 km, 3 heures ou plus pour les vols dans l’Union européenne de plus de 1500 km et pour les autres vols entre 1500 km et 3500 km, 4 heures ou plus pour les autres vols),
  • d'un surbooking/refus d’embarquement.

Le montant des indemnités est déterminé par la distance du vol.

En effet, conformément aux dispositions du règlement (CE) n° 261/2004 : « les passagers reçoivent une indemnisation dont le montant est fixé à :

a) 250 euros pour tous les vols de 1500 kilomètres ou moins ;

b) 400 euros pour tous les vols intracommunautaires de plus de 1500 kilomètres et pour tous les autres vols de 1500 à 3500 kilomètres ;

c) 600 euros pour tous les vols qui ne relèvent pas des points a) et b). »

Le règlement 261/2004 sur le droit des passagers aériens est applicable:

  • pour tous les vols au départ d’un aéroport européen,
  • pour les vols à destination de l’Union européenne, si la compagnie aérienne est européenne,

L’exonération en cas de « circonstances extraordinaires »

Les « circonstances extraordinaires » sont prévues à l’article 5 § 3 du Règlement 261/2004.

Selon cet article, le transporteur n’est pas tenu d’indemniser un passager « s’il est en mesure de prouver que l’annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises ». Il faut donc rapporter une triple preuve : 1) l’existence desdites circonstances ; 2) leur lien avec l’annulation ; 3) l’impossibilité de les éviter malgré la prise de toutes les mesures raisonnables. »

Dans l’affaire relative à la compagnie TUIfly, la compagnie avait invoqué les « circonstances extraordinaires » relatives à la grève sauvage du personnel pour s’opposer à l’indemnisation des passagers.

Les tribunaux de district de Hanovre et Düsseldorf avaient alors saisi la CJUE de demandes préjudicielles. Une vague de maladies ou une grève sauvage relève-t-elle des « circonstances extraordinaires » ? Telle était la question soumise à la CJUE.

Réponse de la CJUE : la grève sauvage n’est pas une circonstance extraordinaire libérant la compagnie de son obligation d’indemnisation

La Cour répond que l’absence spontanée d’une partie importante du personnel navigant qui trouve son origine dans l’annonce d’une restructuration, « à la suite d’un appel relayé non pas par les représentants des travailleurs de l’entreprise, mais spontanément par les travailleurs eux-mêmes qui se sont placés en situation de congé de maladie, ne relève pas de la notion de “circonstances extraordinaires”, au sens de cette disposition ». La Cour estime que si, selon le considérant 14 du règlement, « de telles circonstances peuvent se produire, en particulier, en cas de grèves ayant une incidence sur les opérations d’un transporteur aérien effectif », elle a déjà précisé « que les circonstances visées à ce considérant ne sont pas nécessairement et automatiquement des causes d’exonération de l’obligation d’indemnisation ».

En clair, la grève en question était un risque lié à l’annonce des restructurations et donc inhérente à l’activité du transporteur et donc la « grève sauvage » en cause en l’espèce ne saurait être considérée comme échappant à la maîtrise effective de TUIfly.

En conséquence, elle ne constitue pas une circonstance extraordinaire permettant au transporteur de se dispenser d’indemnisation.

Plus généralement, la Cour rappelle à travers cette réponse que les grèves ne sont pas nécessairement et automatiquement des causes d’exonération pour les compagnies.

Sans nul doute, cette décision marque un renforcement des droits des passagers aériens.

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