Achat sur plan et retards de livraison : quelle indemnisation ?
« Faire construire » son logement est un rêve pour beaucoup qui peut parfois relever du parcours du combattant.
Au début du processus, c’est le choix de la figure contractuelle adaptée qui pose question.
Juridiquement en effet, l’expression « faire construire » cache des réalités bien différentes : Vente à terme, Contrat de Construction de Maison Individuelle (ci-après CCMI) avec ou sans fourniture de plan, Contrat de promotion immobilière ou encore Vente en l’Etat Futur d’Achèvement (ci-après VEFA).
L’opération se complexifie encore davantage lorsque l’on sait que ces contrats, bien que différents, possèdent des régimes juridiques souvent très proches, qui parfois même, s’enchevêtrent sur certains aspects.
Puisque cet article a pour ambition de ne traiter que de la VEFA, il ne s’agira pas ici de revenir sur cette diversité, ni sur les subtilités juridiques qui créent les frontières entre chaque contrat.
A la fin du processus, c’est la question de la livraison qui resurgit de manière inéluctable puisque, bien souvent en pratique, les chantiers accusent des retards plus ou moins importants.
Or, ces retard rejaillissent nécessairement sur la date de livraison du bien elle-même. Les projections de l’acheteur sont alors contrecarrées, son emploi du temps est décalé. Et si, on le conçoit aisément, c’est la déception qui le gagne alors, d’autres conséquences, notamment financières, sont susceptibles de lui causer préjudice.
Il ne faut pas s’y méprendre, les retards de livraison sont très fréquents dans les faits, les chantiers étant soumis à de nombreux aléas. C’est donc une question cruciale qu’il faut envisager avant même d’entamer une opération de VEFA ou "achat sur plan", et l’excitation du projet ne doit pas aveugler l’acheteur. « Contracter c’est prévoir » dit-on ; à l’analyse, la formule semble revêtir une dimension tout à fait singulière en la matière.
Vous envisagez d’opter pour le mécanisme de la VEFA mais craignez des retards dans la livraison : Comment les anticiper ? Quels sont les pièges à éviter ? Quels sont les impacts de l’épidémie de COVID 19 ? Le cas échéant, quels sont vos recours ?
Le but de cet article est de répondre à ces interrogations et de revenir sur une question charnière du droit de la construction.
I) Les instruments à la disposition du maître d’ouvrage pour solliciter une indemnisation
La prévision d’un délai de livraison apparaît comme une donnée essentielle au contrat de VEFA.
Cela résulte tant du droit commun (article 1601-1 du Code civil) que du droit spécial (article L.261-11 du Code de la Construction et de l’Habitation).
Seulement, bien malin celui qui saurait prédire, sans se tromper, la date à laquelle le bien sera effectivement livré.
C’est pourquoi, en général, ce n’est pas une date de livraison précise qui est stipulée mais plutôt une période de livraison. Il n’est dès lors pas surprenant qu’un contrat de VEFA prévoit, par exemple, que le bien sera achevé, au plus tard, dans le courant de tel trimestre de telle année.
Cependant, que le contrat envisage une date précise ou une période plus vaste de livraison, le chantier n’est jamais à l’abri des retards dans celle-ci.
Et si l’hypothèse se réalise, le maître d’ouvrage est en droit d’en solliciter l’indemnisation.
Seulement, pour une VEFA, ce dernier a tout intérêt à porter une attention particulière au contrat qu’il signe.
La raison est simple : contrairement à d’autres instruments contractuels comme le CCMI par exemple, le constructeur qui propose une VEFA n’est pas légalement tenu de prévoir des pénalités dont il serait redevable en cas de retard dans la livraison. Puisque évidemment, de telles pénalités ne vont pas dans son intérêt et que donc, bien souvent, il ne les intègre pas systématiquement, il revient à l’acheteur de négocier en la matière.
Quelles pénalités et quel montant fixer ? Telle est la question qui se pose de façon subséquente. Là encore, un parallèle avec le contrat de CCMI est riche d’enseignement puisque les règles qui le gouvernent pourront servir de référence. Ainsi, s’inspirant de l’article R.231-14 du Code de la Construction et de l’Habitation, maîtres d’ouvrage et promoteur pourront prévoir des pénalités de retard d’un montant de 1/3000e du prix convenu par jour de retard.
Attention cependant aux maîtres d’ouvrages qui seraient tentés de gonfler le montant de telles pénalités de retard, les magistrats risquent d’apporter une réponse fulgurante. Parce qu’ils les appréhenderont juridiquement comme des « clauses pénales » au sens de l’article 1231-5 du Code civil. (Cass. Com, 18 juin 2013, n°12-18.240), les juges se garderont toujours le pouvoir de modérer ces pénalités dans leur montant (ou, inversement, de les revoir à la hausse).
C’est d’ailleurs pourquoi il apparaît judicieux de s’inspirer des seuils légaux en vigueur en matière de CCMI puisque, a priori, ces seuils là ne devraient pas être considérés comme déraisonnables ou disproportionnés en cas de litige.
[COVID 19 : C’est également pourquoi de telles pénalités de retards sont concernées par l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire. Ainsi, comme l’illustre le rapport accompagnant cette ordonnance et qui a été remis au Président de la République, « si une échéance était attendue le 20 mars 2020, c'est-à-dire huit jours après le début de la période juridiquement protégée, la clause pénale sanctionnant le non-respect de cette échéance ne produira son effet, si l'obligation n'est toujours pas exécutée, que huit jours après la fin de la période juridiquement protégée ». De même « si un contrat de travaux antérieur au 12 mars 2020 prévoit la livraison du bâtiment à une date qui échoit après la fin de la période juridiquement protégée, la clause pénale sanctionnant l'éventuelle inexécution de cette obligation ne prendra effet qu'à une date reportée d'une durée égale à la durée de la période juridiquement protégée »]
On l’aura compris, l’acheteur en VEFA a un réel intérêt à anticiper les éventuels retards de livraison en posant, par avance, leurs sanctions.
A défaut, la panique ne doit toutefois pas l’emporter car le droit demeure, au fond, un outil pragmatique et permet, en la matière, l’utilisation d’une autre ressource.
Dès lors, en l’absence de pénalités contractuelles, c’est le droit commun qui prend le relais et c’est en particulier sur le terrain des dommages et intérêts que l’acheteur trouvera satisfaction.
Il lui incombera alors à de démontrer trois éléments essentiels :
- La faute du promoteur qui résidera, en l’espèce, dans le retard dans l’exécution de sa prestation.
- L’existence d’un préjudice qui pourra réside dans l’existence d’un préjudice financier (coûts de loyers supplémentaires ou d’éventuelles indemnités d’occupation, coûts d’un garde meuble, perte de revenus locatifs), d’un préjudice de jouissance (du fait de la privation de pouvoir jouir d’un logement qui aurait du être livré à temps) ou d’un préjudice moral (du fait de l’attente occasionnée par le retard).
- La présence d’un lien de causalité entre la faute du promoteur et le préjudice subi.
Il faut enfin préciser qu’à la lumière de la jurisprudence, la responsabilité civile semble être le seul terreau envisageable d’une indemnisation du maître d’ouvrage en cas de retards de livraison, ceux-ci ne pouvant être assimilés ni à des vices, ni à des non-conformités (CA Toulouse 23 juin 2008, n°07/01814).
II) Certains retards de livraison ne sont pas indemnisables
Si le maître d’ouvrage peut légitiment prétendre à une indemnisation en cas de retards imputables, par exemple, à la faute du promoteur, ce dernier ne saurait toutefois être tenu responsable de tous les événements extérieurs qui auraient pour effet de retarder la livraison du logement en VEFA.
Il en va d’une certaine idée de justice contractuelle. En clair, il est des hypothèse où le retard n’est pas indemnisable.
La première hypothèse est tout à fait classique puisqu’il s’agit des cas de force majeure.
Rappelons qu’au regard de l’article 1218 du Code civil, il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur. Un événement qui remplirait ces conditions, et qui paralyserait momentanément le chantier, entraînant un retard dans son achèvement, ne saurait donc être mis à la charge du maître d’œuvre.
[COVID 19 : la question du COVID nourrit les incertitudes et la littérature juridique. Cas de force majeure ou pas ? Certes, d’habitude, les magistrats demeurent rétifs à l’idée de reconnaître les épidémies comme des cas de force majeure. Mais, cette épidémie là est singulière, notamment parce qu’elle s’est accompagnée d’un confinement généralisé. Si l’on ne saurait affirmer clairement que l’épidémie sera bel et bien, en cas de litige, considéré comme un événement remplissant les conditions de la force majeure, plusieurs éléments semblent plaider en faveur d’une telle interprétation.
D’une part, le Gouvernement a annoncé que l’épidémie serait considérée comme un cas de force majeure pour les marchés publics, justifiant l’inapplication des pénalités en cas de retard d’exécution des prestations contractuelles. Si le Gouvernement n’a pas été aussi prolixe concernant les marchés privés, on imagine mal pourquoi l’épidémie serait considérée comme un cas de force majeure d’un côté et non de l’autre).
D’autre part, a été rendu public un « guide de préconisations de sécurité sanitaire pour la continuité des activités de la construction en période d’épidémie de COVID 19 ». Or, littéralement d’abord, ce guide dispose que « en période d’épidémie, les entreprises du Bâtiment et des Travaux Publics doivent respecter strictement les préconisations de ce guide, et à défaut de pouvoir le faire, stopper leur activité sur les travaux concernés ». Philosophiquement ensuite, s’il existe un tel guide, cela n’est-il pas l’aveu de ce que, avant sa parution, l’on considérait que l’épidémie pouvait légitimement avoir pour effet de stopper les chantiers, lesquels ne rouvriraient alors qu’après, période soudaine d’incertitude sanitaire oblige, réception des instructions des autorités compétentes...
Enfin, bien que statuant sur des sujets radicalement différents, certains juges du fond ont d’ores-et-déjà caractérisé l’épidémie de COVID 19 comme un cas de force majeure (voir par exemple CA Colmar, 6e ch, ord, 23 mars 2020, n°20/01207). S’il n’est pas contestable que ces décisions n’ont pas la même autorité que celles de la Cour de cassation ; s’il n’est pas non plus contestable que souvent jurisprudence varie et que donc, bien fol est qui s’y fie, force est de constater que ces premières prises de position attestent de ce que la reconnaissance de cette épidémie comme un cas de force majeure ne choque pas l’orthodoxie juridique].
La deuxième hypothèse est celle d’un comportement fautif du maître d’ouvrage lui-même. Il n’est pas impossible, en effet, que ce dernier retarde, par son attitude, la livraison du logement. Là encore, il ne serait pas juste que ce soit le maître d’ouvrage qui en supporte les conséquences. Si c’est le maître d’ouvrage qui contribue personnellement au retard du chantier, il ne saurait, par suite, se plaindre de ce même retard car, ainsi que l’enseigne la célèbre formule, nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.
Les illustrations prétoriennes sont nombreuses. Serait ainsi considéré comme responsable du retard de livraison le maître d’ouvrage qui donnerait, en cours de chantier, de nouveaux ordres intempestifs relatifs à des travaux supplémentaires (Cass. 3e Civ. 15 janvier 2003, n°01-13.871), ou celui qui modifierait son projet en cours de route (Cass. 3e Civ. 9 juillet 2013, n°12-21.705).
Il faut également préciser que la jurisprudence a récemment affirmé de façon limpide qu’en cas de retard de paiement par le maître d’ouvrage, le promoteur pouvait toujours faire usage de l’exception d’inexécution.
En clair, s’il n’est pas payé au fur et à mesure des travaux (le paiement d’un logement en VEFA étant échelonné), le promoteur peut légitimement arrêter le chantier jusqu’à ce que le maître d’ouvrage exécute sa propre obligation, et ce, sans être tenu redevable d’indemnités pour le retard que le chantier aura pris (Cass. 3e Civ. 3, 14 février 2019, n° 17-31.665).
En parallèle, il existe surtout des moyens contractuels permettant au promoteur de se libérer et d’échapper à l’indemnisation des retards de livraison : ce sont les clauses prévoyant des « causes légitimes de suspension / report du délai de livraison ».
Ces causes légitimes de suspension ou de report du délai de livraison, ce peut être :
- Les intempéries au sens de la réglementation des travaux sur les chantiers du bâtiment.
- Le redressement ou la liquidation judiciaire des ou de l'une des entreprises effectuant les travaux ou de leurs fournisseurs.
- Les retards imputables aux compagnies concessionnaires (EDF, compagnie des eaux, France Télécom, etc...) en charge des travaux de voirie et de réseaux divers en vue de la desserte de l'immeuble.
- Les vols, dégradation, actes de vandalisme ou accidents dont le chantier et les entreprises intervenantes seraient victimes.
- La découverte de vestiges archéologiques ou de pollutions.
- Les grèves, qu’elle soit générales au secteur du bâtiment et à ses industries annexes, ou spéciales aux entreprises qui interviennent sur le chantier.
Dans les prétoires, ce type de clauses a pu faire l’objet de vives critiques. Puisque bien souvent, les acheteurs en VEFA sont juridiquement considérés comme des consommateurs, étant donné qu’ils agissent à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de leur activité professionnelle, la validité de ces stipulations a pu être contestée sur le terrain des clauses dites abusives du droit de la consommation.
En effet, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat (Article L.212-1 Code de la consommation).
Seulement, l’argumentaire a été doublement retoqué par la Cour de cassation d’abord pour qui ces clauses n’ont « ni pour objet, ni pour effet de créer, au détriment des acquéreurs non-professionnels, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat » (Cass, 3e Civ, 24 octobre 2012, n°11-17.800), par la Commission des clauses abusives ensuite (avis n°16/01 du 29 septembre 2016)
En l’occurrence, Cour de cassation et Commission des clauses abusives et Cour régulatrice sont même allées plus loin, jusqu’à considérer que n’est pas abusive non plus la clause de retard légitime prévoyant un doublement de la durée non indemnisée, en cas d’intempéries (Cass. 3e Civ. 3, 23 mai 2019, n° 18-14.212) . Selon la Commission précitée, le report du délai de livraison pour un nombre de jours double de celui des jours d’intempéries ne parait pas, au regard des nécessités de réorganisation d’un chantier, manifestement disproportionné (avis n°16/01 du 29 septembre 2016).
III) La mise en œuvre des causes légitimes de suspension des délais de livraison
Informer et justifier, tel doit être le leitmotiv du promoteur qui entend se prévaloir d’une clause prévoyant une cause légitime de suspension des délais de livraison.
En effet, si les clauses ne sont pas en soi abusives, encore faut-il, la solution n’est guère surprenante, qu’elles soient utilisées de bonne foi et que leur mise en œuvre soit justifiée.
En clair, le promoteur est d’abord tenu d’informer le maître d’ouvrage du retard que prendra le chantier, afin que ce dernier ne soit pas laissé dans l’incertitude quant à la date d’achèvement de l’immeuble, laquelle demeure, on l’a vu, une donnée essentielle au contrat de VEFA (Cass. 3e Civ, 29 mars 2018, n°17-14.249).
Pèse ensuite sur le promoteur une obligation de justifier que le retard pris par le chantier (et qui rejaillit in fine sur la date de livraison du bien elle-même) est bel et bien imputable à des intempéries effectives par exemple. Dans cette hypothèse, la preuve résultera d'une attestation produite par lui, à laquelle doivent être annexés les relevés météorologiques correspondants, étant précisée que, conformément aux recommandations de la Commission des clauses abusives, lesdits relevés doivent être réalisés par un tiers au contrat et sur la base de relevé météorologiques publics.
Enfin, il ne faut pas oublier que les dires et les documents présentés par le promoteur demeureront, en cas de contestation, soumis au pouvoir d’appréciation des juges qui pourraient alors les remettre en cause.
En tout état de cause, on comprend ici que la question tient essentiellement à une affaire de circonstances. Par ailleurs, il faut garder à l’esprit que le sujet des retards dans la livraison d’une VEFA alimente un contentieux plutôt abondant, parfois très technique. C’est pourquoi il reste vivement conseillé de se diriger vers un avocat en droit immobilier avant même d’entamer le processus et d'engager des négociations amiables.
Si vous avez des interrogations en lien avec l'article ou si vous souhaitez que Me Louise BARGIBANT vous assiste et vous conseille dans un dossier de VEFA et retards de livraison : vous pouvez la contacter. Le cabinet intervient en phase amiable ou judiciaire, devant tous les tribunaux, dans toute la France.
Article rédigé par Luca DI NATO, stagiaire LBA Avocat
Sous la direction de Me Louise BARGIBANT
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