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CONSTRUCTION : les contours des conditions suspensives du CCMI

En 2019, un rapport publié par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) déclarait « Le CCMI est le contrat de construction qui protège le mieux le consommateur contre les mauvaises pratiques ».

En effet, le Contrat de Construction de Maison Individuelle (CCMI) garantit en principe un degré de sécurité juridique supérieur aux autres contrats de construction.

Ce  contrat écrit doit être signé avant le début des travaux et doit être envoyé, accompagné de toutes ses annexes obligatoires, par le constructeur au domicile de l’acquéreur via une lettre recommandée avec accusé de réception.

Ce contrat comporte également certaines mentions obligatoires lesquelles sont différentes selon que le CCMI soit avec fourniture de plans ou sans fourniture de plan.

A contrario, d’autres clauses sont interdites et ne peuvent figurer dans le contrat.

Enfin, certaines clauses sont, quant à elles, facultatives, en particulier les clauses prévoyant des conditions suspensives mais leur présence a pour objectif la protection de l’acquéreur.

A quoi servent les conditions suspensives d’un CCMI ? Quels sont le rôle et la nature  de ces conditions suspensives ?

Focus sur les contours de ces conditions suspensives dans cet article.

Quelles sont les conditions suspensives d'un CCMI ?

L’article 1304 du code civil prévoit en son alinéa 2 que la condition suspensive insérée à un contrat est une condition dont l’ accomplissement rend l'obligation pure et simple.

Appliquée au CCMI, cette disposition rend possible la rédaction de clauses prévoyant des conditions qui, si elles ne sont pas accomplies avant un délai déterminé au contrat, feront éteindre les obligations résultant dudit CCMI.

En d’autres termes, les conditions suspensives devront être levées sans quoi le chantier ne débutera pas puisque le CCMI sera caduc.

Le Code de la construction et de l’habitation en son article L.231-4 encadre la rédaction de ces conditions suspensives et limite leur nombre.

En vertu de cet article, il est possible d’en insérer cinq au contrat. Elles sont les suivantes :

  • L’acquisition du terrain
  • L’obtention des autorisations administratives
  • L’obtention des prêts demandés pour le financement de la construction
  • L’obtention de l’assurance de dommages ouvrage
  • L’obtention de la garantie de livraison.

Certaines conditions suspensives sont à la charge de l’acquéreur, c’est le cas de l’acquisition du terrain, du permis de construire,  de l’obtention des financements et de l’obtention de l’assurance dommages à l’ouvrage.

Mais l’obtention de la garantie nominative de livraison incombe, quant à elle,  au constructeur.

En pratique, le constructeur est également souvent mandaté par le maître d’ouvrage concernant l’obtention du permis de construire et/ou de l’assurance dommages-ouvrage. Ce mandat est prévu dans le CCMI lui-même.

L’acquisition du terrain

Cette condition semble évidente tant elle est essentielle, il faut être propriétaire pour construire (ou à tout le moins, être bénéficiaire de droits réels).

L’article L.231-4 du Code de la construction et de l’habitation dispose à ce titre :

« I.-Le contrat défini à l'article L. 231-1 peut être conclu sous les conditions suspensives suivantes :

a) L'acquisition du terrain ou des droits réels permettant de construire si le maître de l'ouvrage bénéficie d'une promesse de vente […] ».

Cette condition est classique et elle est à la charge de l’acquéreur.

L’acquisition du foncier est indirectement liée à la réalisation des autres conditions suspensives à savoir l’obtention du permis de construire voire même celle tenant à l’obtention du prêt.

Cette condition suspensive peut résulter de la preuve d’un titre de propriété ou d’une promesse de vente sur un terrain.

Concernant la promesse de vente, seuls deux types sont valables en CCMI : la promesse synallagmatique de vente (appelée compromis) et la promesse unilatérale de vente, étant précisé que la promesse d’achat, quant à elle, ne permet pas de justifier de droits réels sur celui-ci.

Il convient d’ailleurs de préciser que la situation du maître de l’ouvrage titulaire d’une promesse unilatérale de vente demeure aujourd’hui précaire, dans la mesure où cette promesse ne constitue pas un titre efficace lui permettant d’être propriétaire en levant l’option avant le terme prévu. (Civ. 3e, 15 déc. 1993, no 91-10.199)

Une notice d’information du 28 novembre 1991 (Arr. 28 nov. 1991, JO 30 nov) est ainsi rédigée :

« Si vous êtes seulement titulaire d'une promesse de vente sur un terrain désigné au contrat, vous devrez présenter la justification de vos droits définitifs sur ce terrain (droit de propriété ou droit de construire) ».

Dans une promesse unilatérale de vente, le droit d’option ne s’apparente pas à un droit réel puisque le bénéficiaire n’a pas de pouvoir direct et immédiat sur le terrain.

Une précision a été apportée par une réponse ministérielle concernant ce cas de promesse unilatérale de vente d’un terrain, puisqu’il a été indiqué que le maître de l'ouvrage doit soit être propriétaire du terrain soit titulaire d'une promesse de vente devenue définitive. Autrement, elle ne confère pas de droit réel et donc ne satisfait pas aux dispositions de l'article L. 231-2 du Code de la construction et de l'habitation (JOAN 25 nov. 2008, p. 10245).

A noter : Un arrêt récent rendu par la Cour de cassation a considéré qu’était nul le CCMI conclu sous la condition suspensive d’une donation du terrain. La Haute juridiction estime que dans cette situation le maître d’ouvrage n’est ni propriétaire ni bénéficiaire d’une promesse de vente au jour de la signature du contrat (Cass. 3e civ. 14 mai 2020 n° 18-21.281 FS-PBI).

L’obtention des autorisations administratives

L’article L.231-4 du Code de la construction et de l’habitation prévoit :

«I.-Le contrat défini à l'article L. 231-1 peut être conclu sous les conditions suspensives suivantes :

[...]

b) L'obtention du permis de construire et des autres autorisations administratives, le maître de l'ouvrage étant tenu de préciser la date limite de dépôt de la demande ».

Si l’obtention d’un permis de construire est ce qu’il y a de plus courant, les demandes d’un permis de démolir ou permis d’aménager peuvent également être intégrées dans une condition suspensive.

Cette condition d’obtention doit généralement être levée par l’acquéreur, mais la plupart du temps celui-ci charge le constructeur d’obtenir le permis de construire.

Toutefois l’article L.231-3 du Code de la construction et de l’habitation précise :

« Dans le contrat visé à l'article L. 231-1, sont réputées non écrites les clauses ayant pour objet ou pour effet :

[...]

c) D'admettre comme valant autorisation administrative un permis de construire assorti de prescriptions techniques ou architecturales telles qu'elles entraînent une modification substantielle du projet ayant donné lieu à la conclusion du contrat initial. [...] »

Un permis de construire n’est donc pas considéré comme « obtenu » s’il entraine des modifications substantielles du projet contractuel et c’est pourquoi il doit être conforme au projet initialement convenu (d’où l’importance également d’être précis lors de la rédaction du projet à la signature du CCMI...).

A noter que l’article L.231-3 du Code de la construction et de l’habitation précise que pour considérer cette condition comme remplie, le permis de construire obtenu ne doit pas entraîner de modifications substantielles du projet contractuel.

Aussi, il convient d’être prudent et de préciser dans le CCMI que la condition ne sera considérée comme levée que lorsque le permis obtenu sera définitif, donc purgé de tout recours.

L’obtention des modalités de financement de la construction

C’est une condition qui est essentielle pour la plupart des maîtres d’ouvrage ayant un projet de construction en CCMI.

Si le projet immobilier dépend de l’obtention du financement par des organismes bancaires, le maître d’ouvrage doit pouvoir être libéré du contrat pour le cas où il n’est pas suivi financièrement.

Il appartient donc au maître d’ouvrage de faire les démarches nécessaires à l’obtention de ce prêt, tel que cela a été défini dans le CCMI.

A noter qu’une réponse ministérielle (Rép. min., JOAN Q 16 juin 2003, p. 4785) ajoute que la condition suspensive d’obtention de prêt doit faire figurer dans le CCMI lui-même les caractéristiques de l’emprunt à savoir le montant minimum, le taux d’intérêt maximum et ainsi que la durée de ce prêt.

La demande de prêt devra être conforme à ces indications, sans quoi il pourrait être considéré que l’acquéreur s’est lui-même placé dans une situation d’échec de réalisation de cette condition suspensive.

L’obtention de l’assurance de dommages à l’ouvrage

Selon l’article L.242-1 du Code des assurances, obligation est faite au maitre de l’ouvrage de souscrire une assurance dommages-ouvrage avant l’ouverture du chantier. En vertu de l’article L.231-2 du même Code, le CCMI doit comporter la référence de cette souscription.

Cette condition suspensive doit donc être intégrée au CCMI car elle est essentielle et obligatoire.

Cette assurance prend en charge le paiement des travaux de reprises à la suite des désordres relevant de la garantie décennale. Elle permet un gain de temps s’agissant de l’obtention du financement des réparations puisque elle a lieu avant même que ne soient déterminés les responsables des désordres.

Bien que l’obtention de la « dommages-ouvrage » soit une condition suspensive relative au maître d’ouvrage, en pratique le CCMI prévoit généralement qu’elle sera confiée au constructeur (le maître d’ouvrage lui donnant mandat de la souscrire pour son compte).

Une simple attestation générale ne saurait considérer cette condition comme réalisée.

L’obtention de la garantie nominative de livraison

Il incombe au constructeur, suivant cette condition suspensive, de souscrire auprès d’une compagnie d’assurance ou d’un établissement bancaire une garantie de livraison du bien, livraison qui devra être faite au prix convenus et dans les délais prévus au CCMI.

Cette garantie couvre le maitre de l’ouvrage dès l’ouverture du chantier contre une inexécution ou une mauvaise exécution : il sera assuré que son projet immobilier soit mené à terme.

A noter que pour que la condition suspensive soit levée, la preuve de l’obtention de la garantie de livraison doit être faite par la fourniture d’une attestation nominative de livraison.

Une simple attestation générale ou multirisques ne saurait justifier de la réalisation de la condition suspensive.

Quid du délai accordé pour la réalisation des conditions suspensives ?

Les clauses comprenant les conditions suspensives doivent, pour être valables, être limitées dans le temps.

L’article L.231-4 du Code de la construction et de l’habitation lui-même, envisage ce délai et prévoit à cet effet :

« Le délai maximum de réalisation des conditions suspensives ainsi que la date d'ouverture du chantier, déterminée à partir de ce délai, sont précisés par le contrat. »

Ainsi, le délai maximum de levée des conditions suspensives doit être fixé par le CCMI, et ce délai conditionne la date de l’ouverture du chantier.

Durant ce laps de temps tant le maître d’ouvrage que l’acquéreur sont tenus d’être les plus diligents possible et de tout mettre en œuvre pour obtenir les levées de leurs propres conditions suspensives.

La Cour de cassation estime que c’est à peine de nullité que doivent être précisés dans le CCMI ce délai et la date d’ouverture du chantier qui en découle généralement. (Civ. 3e, 30 mars 2011, nos 10-13.854 et 10-13.457)

Attention, la Cour de cassation a déjà pu considérer que le CCMI était nul dans une hypothèse où la garantie de livraison avait été délivrée postérieurement à l'expiration du délai contractuel de réalisation des conditions suspensives et après le début des travaux (Civ. 3e, 30 mars 2011, no10-13.854 et n°10-13.457).

Quels sont les effets attachés aux conditions suspensives ?

  • La levée de l’ensemble des conditions suspensives et ses effets

De manière classique, le Code civil détermine le principe même des conditions suspensives et donc que leur accomplissement rend les obligations issues du contrat pures et simples.

Lorsqu’on combine ces dispositions avec celles du Code de la construction et de l’habitation relatives au CCMI, si toutes les conditions suspensives se sont concrétisées, le CCMI a vocation à produire effet !

Le CCMI sera alors exécuté conformément à ce qui a été prévu en son sein.

Ainsi, le chantier pourra s’ouvrir dans le délai prévu dans le CCMI et les travaux pourront débuter. En contrepartie les fonds pourront commencer à être appelés et versés.

  • L’absence de levée des conditions suspensives et ses conséquences

Dans la mesure où la conclusion du CCMI se fait avant toute opération de travaux, il est possible que l’ensemble des conditions entourant la réalisation de la construction ne soient pas remplies.

L’article L.231-4 du Code de la construction et de l’habitation envisage les conséquences de l’absence de levée des conditions suspensives du CCMI.

Il est ainsi rédigé :

« Les fonds déposés en garantie sont immédiatement restitués au maître de l'ouvrage, sans retenue ni pénalité, si toutes les conditions suspensives ne sont pas réalisées dans le délai prévu au contrat ou si le maître de l'ouvrage exerce la faculté de rétractation prévue à l'article L. 271-1. »

Si l’une des conditions suspensives fait défaut, le CCMI devient caduc et les parties sont toutes les deux libérées de leurs obligations.

Gardez donc en tête que si vous ne voulez pas que votre contrat soit frappé par cette caducité, toutes les conditions suspensives doivent être levées…et ce, dans les délais !

Conséquences :

La caducité du contrat a pour effet de libérer les parties et de les replacer dans l’état dans lequel elles se situaient avant de contracter.

Autrement dit, toutes les sommes versées au constructeur doivent être restituées immédiatement, y compris le dépôt de garantie.

Pour rappel, le dépôt de garantie stipulé dans le CCMI ne peut pas être d’un montant supérieur aux 3% du prix de la construction envisagée et sera déposée auprès d’un compte spécial, ouvert au nom du maître d’ouvrage, par un organisme habilité (ces fonds sont en réalités sont indisponibles, incessibles et insaisissables, jusqu’à la réalisation de toutes les conditions suspensives prévues).

Si les travaux ont démarré alors que l’une des conditions suspensives n’a pas été levée (donc que le contrat était frappé de caducité) le juge peut ordonner la destruction des ouvrages ou les laisser tels quels, étant précisé que dans cette hypothèse le Juge pourra décider que les frais des travaux déjà réalisés devront être honorés par le maître d’ouvrage.

  • La défaillance fautive de l’une des parties au contrat

La non-concrétisation des conditions suspensives ne doit pas résulter de l’inertie ou du fait de l’une des parties. Dans pareille hypothèse, un comportement fautif serait caractérisée et la responsabilité de la partie ayant fait échec à la réalisation de la condition suspensive pourrait voir sa responsabilité engagée !

Selon l’article 1304-3 du Code civil « la condition est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l'accomplissement ».

Conséquences :

La partie qui aurait semé le propre échec de sa condition suspensive récolterait donc la sanction de voir ladite condition suspensive considérée comme « réalisée ».

En d’autres termes, cette partie serait obligée au CCMI et pourrait devoir, pour s’en libérer, payer l’indemnité de résiliation telle qu’elle est prévue au contrat.

Enfin, la pratique a conduit les constructeurs à insérer un délai de réalisation des conditions suspensives de plus en plus long, ce délai allant aujourd’hui dans certains cas jusqu’à 18 mois.

Si la défaillance est fautive, et qu’elle cause un préjudice distinct de la simple inexécution contractuelle, elle pourra donner lieu à indemnisation sur le fondement de l’article 1240 du Code civil.

Une jurisprudence rendue par la Cour de cassation (Cass. 3° civ. du 30 mars 2011, n° 10-13.457, 10-13854) précise même que les acquéreurs ayant subi un retard du fait de la levée d’une condition suspensive après le délai maximal, sont bien fondées  à solliciter la réparation de leur préjudice résultant du fait que ce retard a entrainé des surcouts en ce que le prix des travaux avait augmenté entre temps.

In fine, tant la rédaction de ces conditions suspensives, que leur réalisation (dont dépend la bonne exécution du CCMI) constituent des enjeux cruciaux dans ce type de contrat pourtant protecteur du maitre d’ouvrage.

Si vous avez des questions ou un litige à ce sujet, Me Louise BARGIBANT se tient à votre disposition, n'hésitez pas à la contacter.

Article rédigé par Joséphine LAMOUREUX, élève-avocate, stagiaire LBA AVOCATS

Sous la direction de Me Louise BARGIBANT      

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