
Vice caché sur un bien immobilier : quels modes de preuves ?
L’achat d’un bien immobilier est souvent l’un des projets les plus importants dans une vie. Dès la première visite, vous tombez sous le charme de cette maison dont vous avez toujours rêvé : une maison mêlant modernité et charme de l’ancien, niché dans un écrin de verdure. On imagine déjà les meubles, la décoration des chambres, les repas de famille dans la grande pièce à vivre et les soirées entre amis sur la terrasse.
Mais ce rêve peut parfois virer au cauchemar. Une fois les clés en main et les premiers cartons déballés, certains acquéreurs découvrent, avec stupeur, des défauts graves qu’ils n’avaient ni vus, ni soupçonnés lors des visites : une infiltration d’eau, une charpente rongée par les insectes, l’apparition d’un champignon dissimulé par du papier peint ou encore la défectuosité du réseau d’assainissement.
Les jours passent et ce qui devait être un havre de paix devient peu à peu une source d’angoisse. Les travaux s’accumulent et les devis s’envolent. Parfois le constat est encore plus amer : la structure même du bâtiment est compromise, il faut tout démolir.
L’acquéreur pris dans cette spirale infernale, oscille entre colère et désespoir : ce qu’il imaginait être la maison de toute une vie devient un chantier sans fin, un gouffre financier et moral. Comment cela a-t-il pu arriver ? Pourquoi personne ne l’a-t-il averti ?
Dans cette épreuve une lueur d’espoir peut émerger : engager la garantie des vices cachés du vendeur. En effet, en droit français, l’acquéreur bénéficie d’une protection lorsqu’il constate, après la vente, des défauts graves affectant le bien. Cette garantie impose au vendeur de répondre des défauts cachés, même s’il n’en avait pas connaissance au moment de la vente.
Cependant, encore faut-il que le défaut découvert puisse être qualifié de « vice caché » au sens du Code civil. Une simple malfaçon visible ou un défaut mineur ne suffit pas.
Plus encore, comment rapporter la preuve de ce défaut devant le juge pour obtenir l’annulation de la vente ou le remboursement des travaux engagés ?
Ainsi, lorsque l’enthousiasme de prendre possession de son nouveau logement laisse place à la déception, à la suite de la découverte d’un défaut jusque-là insoupçonné, l’acquéreur se heurte rapidement à des questions juridiques complexes, auxquelles cet article tente d’apporter des réponses claires et concrètes.
Le défaut constitue-t-il un vice caché ?
La loi impose au vendeur de garantir que le bien vendu est exempt de défauts graves qui le rendent inhabitable ou qui en diminuent fortement son usage.
Le défaut invoqué doit répondre à plusieurs conditions cumulatives. L’absence de l’un de ces critères suffit à faire échec à l’action fondée sur la garantie des vices cachés.
- Le vice doit rendre le bien impropre à son usage: il doit être grave (fissure dans le sol, inconstructibilité du terrain, absence de raccordement à un réseau de distribution d’eau alors que la maison était équipée de robinetteries et de canalisations, insalubrité d’un appartement etc)
- Le vice doit être caché pour l’acquéreur: le défaut ne doit pas être visible ou connu de l’acheteur au moment de l’achat. S’il avait pu être détecté facilement (par une simple visite ou un examen attentif), il sera considéré comme “apparent”, et l’acheteur ne pourra pas agir.
- Le vice doit être antérieur: il doit exister au moment de la vente même si ses effets ne se manifestent qu’après la vente
Cependant, il est d’usage d’insérer dans les actes de vente une clause limitative ou exclusive de garantie des vices cachés. Dans ce cas, cette clause exclut-elle toujours la possibilité pour l’acquéreur de se retourner contre le vendeur ?
La clause limitative ou exclusive de garantie exclut-elle toujours l’action de l’acquéreur ?
« Le vendeur ne sera pas tenu à la garantie des vices cachés pouvant affecter le sol, le sous-sol ou les bâtiments »
Si cette clause n’est pas obligatoire, il est d’usage dans la pratique notariale qu’elle soit insérée systématiquement dans les actes de vente, visant à exclure le vendeur de son obligation de garantir le bien contre les vices-cachés.
Cependant, dans trois situations cette clause est inapplicable et l’acquéreur retrouve la possibilité d’agir contre le vendeur même en présence d’une telle clause :
- Le vendeur avait connaissance du vice et ne l’a pas révélé à l’acquéreur
- Le vendeur est un professionnel: sa mauvaise foi est présumée face à un acquéreur non professionnel (ex : vendeur qui a réalisé lui-même les travaux, marchand de bien, SCI dont les statuts précisent l’achat/vente de biens immobiliers, une SAFER qui revend un bien rural, un promoteur immobilier, un technicien du bâtiment etc)
- Le vendeur n’a pas fourni les diagnostics techniques obligatoires: il a l’obligation d’annexer à l’acte de vente des diagnostics permettant de détecter la présence de certains vices (notamment plomb, amiante ou exposition à des risques techniques ou naturels)
Dès lors, si le vendeur entre dans l’une de ces situations, l’acquéreur pourra agir contre lui en garantie des vices cachés, même en présence d’une clause limitative ou exclusive de garantie.
Reste à savoir, comment prouver l’existence d’un vice caché ?
Concrètement, comment prouver ?
C’est à l’acquéreur d’apporter la preuve du vice caché et de la connaissance du vice par le vendeur de mauvaise foi (la bonne foi étant toujours présumée).
Cette preuve peut se faire par tous moyens dès lors qu’il s’agit de prouver un fait juridique. Ainsi, il est important pour l’acquéreur de conserver toute trace qui pourrait aiguiller le juge à conclure sur l’existence d’un vice caché.
Les différents types de preuves qui aident le juge à statuer sur l’existence d’un vice caché :
- Le témoignage: il s’agit d’une déclaration écrite ou orale faite par une personne (le témoin) qui raconte ce qu’elle a vu, entendu ou constaté personnellement à propos d’un fait en lien avec le contentieux.
Ainsi, dans une affaire où l’acquéreur invoquait plusieurs vices cachés, dont notamment la non-conformité du réseau d’assainissement et l’inondation régulière du sous-sol, le témoignage du locataire de l’autre pavillon a permis d’établir que les vendeurs avaient connaissance du vice caché. Celui-ci avait en effet relaté que « chaque fois qu’il pleut très fort, ou qu’il y a de l’orage, l’eau de la cour rentre dans le sous-sol et les vendeurs vident l’eau avec des sceaux ». Ce témoignage, corroboré avec d’autres moyens de preuve, a ainsi permis de reconnaitre la non-application de la clause exonératoire et l’existence d’un vice caché (TGI Evry 1ère chambre 23 mars 2009 n°07/06370)
- Une photographie datée: elle permet de constater un fait, un lieu, une personne à un moment donné et viendra soutenir des déclarations.
Par exemple, dans une affaire où l’acquéreur invoquait plusieurs vices cachés, dont notamment des défauts structurels de la véranda, les photographies constatant un pourrissement du bois des éléments structurels de la véranda, ont permis au juge de statuer en faveur de l’existence d’un vice caché (TJ Bourg-en-Bresse chambre civile, 27 mars 2025 n°23/00584)
- Echanges de mail/SMS: de tels échanges électroniques ont la même force probante qu’un écrit sur support papier à condition que leur origine et leur intégrité soient assurées. Ainsi, un échange par mail ou par SMS avec le vendeur sous-entendant sa connaissance du vice peut permettre d’influencer la décision du tribunal sur la non-application de la clause exonératoire.
- Un constat de commissaire de justice: il s’agit d’un document authentique rédigé par un commissaire de justice (autrefois appelé huissier) dans lequel il décrit objectivement une situation, un fait ou un état des choses qu’il a lui-même observé. Etant établi par un officier public et ministériel, le constat constitue un mode de preuve intéressant.
Cependant, ces modes de preuves ne peuvent suffire à convaincre le juge sur l’existence d’un vice caché. C’est ainsi que l’expertise judiciaire se révèle souvent essentielle dans la preuve du vice caché.
- L’expertise judiciaire: l’expertise reste « la reine de la preuve » en matière de vice caché. Elle peut suffire à prouver l’existence d’un vice caché sans être corroborée par d’autres moyens de preuves.
L’expert, technicien chargé d’apporter son avis technique dans un domaine précis, a un rôle déterminant dans la preuve en matière de vice caché. En effet, ses constatations vont permettre de déterminer :
- Les causes et l’origine du défaut : cela va permettre d’en déduire juridiquement le caractère antérieur
- Les conséquences matérielles du défaut : cela va permettre d’en déduire juridiquement la dangerosité et l’inaptitude de la chose à remplir l’usage communément attendu
Si le juge n’est pas juridiquement lié par les conclusions de l’expert, il suivra le plus souvent ses constatations.
Ainsi, dans une affaire où l’acquéreur a demandé la résolution de la vente pour vices cachés et notamment en raison de l’engorgement des canalisations et d’un évier non raccordé au réseau d’assainissement, le juge a reconnu l’existence de vices cachés en se basant uniquement sur l’expertise judiciaire. En effet cette expertise a constaté que l’immeuble n’était plus habitable en raison de l’absence d’évacuation des eaux usées. Le juge en a déduit que cela constituait un défaut anormal de nature à rendre le bien impropre à sa destination (CA Bourges 1ère chambre 28 septembre 2017 n°16/01094)
L’expertise judiciaire peut être déterminante pour l’issue de la procédure. C’est en ce sens qu’il est essentiel de se faire assister par un avocat compétent en droit immobilier.
En effet, l’expert, n’étant pas juriste, l’assistance d’un avocat s’avère précieuse. Ce dernier veille au respect des règles de procédure applicables à l’expertise, telles que l’impartialité de l’expert et le respect du principe du contradictoire.
Il peut également orienter les débats en attirant l’attention sur les points techniques essentiels, afin d’anticiper les conséquences juridiques qui pourraient en découler.
Si les preuves sont nécessaires pour prouver un vice-caché, doivent-elles respecter des conditions pour être admises ?
Quid de la production d'une preuve illicite ou déloyale ?
Qui n’a jamais été tenté d’enregistrer secrètement la partie adverse à l’aide de son smartphone pour se défendre dans un litige ?
Vous avez la preuve que le vendeur avait connaissance du vice au moment de la vente parce qu’il l’a affirmé lors d’un appel téléphonique ? Pouvez-vous utiliser cette preuve ?
En principe, toute preuve soumise au juge doit respecter deux conditions :
- Elle doit être licite: elle ne doit pas être obtenue en violation de la loi (ex : entrer dans un logement sans autorisation pour prendre des documents viole le respect au droit à la vie privée et le droit de propriété)
- Elle doit être loyale: elle ne doit pas être obtenue à l’insu de la personne ou par des stratagèmes (ex : une personne se fait passer pour un avocat fictif afin d’obtenir des informations confidentielles)
Avant, des preuves obtenues de manière illicite ou déloyale étaient systématiquement refusées par le juge.
Mais la jurisprudence récente s’est assouplie et accepte des preuves illicites ou déloyales sous certaines conditions.
Depuis un arrêt de 2023, une partie peut utiliser, dans un litige entre particulier, une preuve obtenue de manière déloyale dès lors que cette preuve est indispensable à l’exercice du droit de la preuve et qu’il n’y avait pas d’autre moyens de parvenir à obtenir l’information.
Dans cette affaire, le juge considère que la preuve apportée par un enregistrement audio obtenu à l’insu de la personne enregistrée peut être admise si elle est indispensable et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi c’est-à-dire qu’il n’existait pas d’autres moyens plus respectueux pour obtenir l’information (Cass ass plen 22 décembre 2023 n°20-20.648).
Cela était déjà le cas à propos des preuves obtenues de manière illicites. Sous ces conditions, il est donc désormais plus facile d’apporter la preuve d’un vice caché.
Si le vice-caché est prouvé et admis, quelles conséquences pour l’acquéreur ?
Quelles conséquences en cas de reconnaissance du vice caché ?
Si le vice est admis, l’acquéreur a le choix entre :
- rendre l’immeuble et se faire restituer le prix
- ou demander une diminution du prix
C’est un choix discrétionnaire qui appartient à l’acquéreur.
Le délai pour agir est de 2 ans à compter de la découverte du vice sans pouvoir excéder 20 ans à compter du jour de la vente. Toutefois, pour les ventes antérieures au 19 juin 2008, l’action en garantie des vices cachés engagée plus de 20 ans après la vente reste recevable.
Vous êtes victime d’un vice caché ? Cette démarche exige une analyse juridique approfondie et rigoureuse. Afin de maximiser ses chances de succès, il est donc essentiel de se faire accompagner par des professionnels du droit compétents dans ce domaine.
Notre cabinet se tient à vos côtés pour vous conseiller, analyser les faits de votre dossier et engager, si nécessaire, les actions juridiques appropriées afin de protéger vos intérêts et obtenir réparation.
Si vous avez des questions ou un litige à ce sujet, Me Louise BARGIBANT se tient à votre disposition, n'hésitez pas à la contacter.
Article rédigé par Apolline DEKEISTER, stagiaire LBA AVOCATS
Sous la direction de Me Louise BARGIBANT
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