
Vente immobilière : les nuisances sonores peuvent-elles être qualifiées de vice caché ?
Vous avez peut-être découvert, après l’achat de votre bien que des nuisances sonores importantes vous empêchent d’en jouir sereinement. Dans une telle situation, quels recours s’offrent à vous ?
La garantie des vices cachés constitue aujourd’hui un instrument essentiel de protection pour les acquéreurs immobiliers. Elle permet à l’acheteur de se retourner contre le vendeur lorsque le bien présente un défaut suffisamment grave, non apparent au moment de la vente, et dont l’origine est antérieure à celle-ci.
Pour que cette garantie puisse s’appliquer, plusieurs conditions doivent être réunies :
- Le vice doit être caché lors de l’achat, c’est-à-dire ni apparent ni connu de l’acquéreur
- Il doit être suffisamment grave, au point de rendre le bien impropre à l’usage auquel on le destine ou d’en diminuer fortement la valeur
- Sa cause doit exister avant la vente, même si ses effets n’apparaissent qu’après
L’action en garantie des vices cachés doit être engagée dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice. Toutefois, cette action est irrecevable passé un délai de vingt ans à compter de la vente, même si le défaut est découvert tardivement.
Lorsque ces conditions sont réunies, l’acheteur peut s’appuyer sur l’article 1641 du Code civil pour faire valoir ses droits sous réserve de passer outre une éventuelle clause d’exonération de garantie des vices cachés fréquemment prévue dans les actes notariés (laquelle toutefois peut être inapplicable en cas de vendeur professionnel de l’immobilier ou de mauvaise foi).
Il peut alors choisir:
- Soit de demander la résolution de la vente, il s’agit de l’action rédhibitoire
- Soit de solliciter une réduction du prix, il s’agit de l’action estimatoire
Classiquement, les vices cachés reconnus concernent des défauts structurels ou graves affectant le bien : infiltrations, présence de mérule, d’insectes xylophages, défauts de fondations…
Mais qu’en est-il des nuisances sonores ? Peuvent-elles, elles aussi, être qualifiées de vice caché et ouvrir droit à un recours ?
Une qualification complexe justifiée par la nature immatérielle du bruit …
Les juges se montrent généralement plus réservés quant à la qualification des nuisances sonores comme vices cachés.
Contrairement à un défaut physique inhérent au bien, le bruit provient d’éléments extérieurs, se manifeste de façon irrégulière et peut dépendre de la sensibilité de chacun.
De plus, leur caractère ponctuel rend leur détection aléatoire lors d'une simple visite, ce qui peut compromettre le respect des conditions strictes exigées pour la reconnaissance d’un vice cache.
… mais une qualification qui n'est pas impossible
Lorsque les trois conditions classiques du vice caché sont réunies, celui-ci peut être admise, même en matière de nuisances sonores.
Il subsiste néanmoins une subtilité qu’il convient de ne pas négliger.
La gravité des nuisances : un trouble rendant le bien impropre à l’habitation
La condition de gravité suppose que les nuisances sonores rendent le bien impropre à l’usage auquel on le destine, en général l’habitation.
Il peut être délicat de démontrer la gravité des nuisances sonores dans la mesure ou leur perception varie d’un individu à l’autre.
Toutefois, la jurisprudence l’admet lorsque ce caractère de gravité est démontré au cas par cas.
Elle a notamment admis l’existence d’un vice caché à la suite de l'acquisition d’un bien dont le système de chauffage provoquait des nuisances sonores. Pour déterminer le caractère de gravité, les juges se sont fondés sur le rapport d’enquête, dans lequel il est précisé que la mesure sonométrique effectuée permettait de caractériser une émergence supérieure aux valeurs autorisées par la réglementation. Les nuisances compromettaient ainsi le confort acoustique du bien, ce qui permettait de conclure à une atteinte à son usage normal (CA Paris, 23 février 1999, n° 1998-15838).
Le caractère de gravité a en outre été retenu dans le cas d’un bien qui se situait à côté d’un club de squash, et où les nouveaux acquéreurs subissaient le bruit des chocs de balles. Là encore, les juges se sont fondés sur une expertise judiciaire qui mentionnait dans son rapport que les bruits des balles frappant les murs de trois courts de squash mitoyens, pouvant être utilisés simultanément, engendraient des nuisances sonores supérieures au seuil réglementaire toléré, ce qui compromettait l’usage de la chose (CA Lyon, 12 septembre 2023, n° 21/02751).
Les juges ont admis par ailleurs que les nuisances sonores rendent le bien impropre à son usage lorsqu’elles résultent de l’affaiblissement de l’isolement acoustique du plancher séparant deux appartements, ce qui engendre des troubles compromettant l’usage résidentiel du logement. (CA Paris 20/12/2012 n°08/22156)
Enfin, les juges ont reconnu la gravité du vice dans le cas où des époux avaient acquis un bien situé à proximité d’un commerce, dont l’activité provoquait des nuisances sonores. Pour apprécier le caractère de gravité, le juge s’est fondé sur l’importance des nuisances, lesquelles ne pouvaient être pleinement perçues qu’après un temps de vie de plusieurs semaines. (CA Rouen 22/03/2023 n°21/03368)
La nécessité de preuves objectives pour démontrer la gravité
Les juges insistent sur la nécessité de justifier le caractère de gravité du vice par des éléments objectifs.
A titre d’exemple, la jurisprudence ne s’est pas prononcée sur le caractère caché du vice, puisque, les éléments produits par l’acquéreur reposaient sur des appréciations subjectives. C’est pourquoi, les juges ont ordonné une expertise judicaire afin de déterminer la réelle ampleur des nuisances. Ils ont aussi reconnu que les nuisances invoquées reposaient sur des déclarations personnelles, sans éléments mesurables ou techniques, permettant d’établir leur caractère anormal ou excessif (TJ Marseille 19/06/2025, n°21/08320).
A noter que dans la mesure où les nuisances sonores peuvent être perçues différemment par certaines personnes et sont dès lors subjectives, le juge précise pour caractériser les nuisances comme un vice caché, « que peu importe les seuils d’acceptation des autres résidents, dans la mesure ou des faits objectivement constatés entraînaient des conséquences sur les conditions de vie dans le bien concerné ». (CA Rouen 22/03/23, n°21/03368). Dans cet arrêt, le commissaire de Justice avait constaté la présence de nuisances sonores significatives en provenance du supermarché voisin. Dès 5h15, il relevait l’apparition de « bruits de roulement semblant correspondre à des bruits de transpalette », immédiatement suivis de sifflements et de vrombissements liés à la mise en marche d’un gerbeur électrique, lesdits bruits se répétant et durant plusieurs minutes. Il mentionnait également des bruits de grincement et de claquement de porte. Ces nuisances ont été relevées à plusieurs reprises dans la matinée, notamment à 5h53, 5h59, 6h20, 6h25, 6h45, 6h50, 7h15 et 8h, et se sont avérées perceptibles dans l’ensemble de l’appartement.
L’antériorité des nuisances
Pour que des nuisances sonores puissent être qualifiées de vice caché, il est impératif qu’elles existent au moment de la vente, même si leurs effets ne se manifestent qu’après l’acquisition. Autrement dit, le trouble doit avoir une origine antérieure à la signature de l’acte, ce qui implique d’en apporter la preuve.
Dans les décisions évoquées précédemment, les juridictions ont retenu cette condition dès lors que les nuisances étaient liées à une situation durable, comme l’activité d’un commerce voisin déjà en fonctionnement lors de la vente. Cette antériorité permet de caractériser un vice affectant le bien dès l’origine, même si ses conséquences ne se révèlent qu’après l’emménagement de l’acquéreur.
Par ailleurs, il peut également être nécessaire de démontrer que le vendeur était informé des nuisances et a fait preuve de mauvaise foi en les dissimulant ou en omettant de les mentionner. Cette preuve renforce alors la responsabilité du vendeur et facilite la reconnaissance du vice caché par les juges.
Le caractère caché : nuisances non détectables lors des visites
Pour qu’un vice soit qualifié de « caché », il doit être non apparent au moment de l’achat, c’est-à-dire qu’un acquéreur normalement diligent ne pouvait raisonnablement le détecter. Cette condition peut être plus difficile à établir dans le cas des nuisances sonores, qui ont souvent un caractère intermittent et ne se manifestent pas systématiquement lors des visites préalables à la vente.
Toutefois, il faut tenir compte de la question cruciale de l’ampleur du trouble.
Bien que les nuisances étaient perceptibles à un certain degré, il s’agit de déterminer si leur intensité était telle que l’acquéreur pouvait en apprécier pleinement la portée avant l’achat. En d’autres termes, le vice peut être apparent, mais l’ampleur des nuisances, elle, reste souvent inconnue avant l’emménagement. C’est notamment le cas, lorsque le bien est situé à côté d’un local commercial, les juges ont reconnu que certes, au regard des photographies produites, les acquéreurs auraient pu anticiper la présence de l’activité commerciale, mais ils n’ont pu découvrir l’ampleur des nuisances qu’en vivant dans l’appartement. (CA Rouen 22/03/2023, n°21/03368)
En outre, quand les nuisances résultent de l’enclenchement du chauffage, au-delà de la dissimulation du vice par les vendeurs qui lui affirmaient que le bien était parfaitement isolé et qu’il se situait dans un quartier calme, la jurisprudence reconnait que les acquéreurs ne pouvaient découvrir le vice en raison de la période à laquelle ou ils ont visité le bien, n’entrainant pas la mise en service du chauffage. (CA Paris, 23/02/1999, n°1998-15838).
Ainsi, il ressort de ce qui précède qu’il est tout à fait envisageable de caractériser les nuisances sonores comme un vice caché lorsque les conditions classiques sont réunies.
Le juge a d’ailleurs précisé que l’habitabilité d’un logement ne se limite pas à ses aspects matériels clos, couverts et équipements mais inclut aussi les conditions de vie qui ne doivent pas compromettent la santé des habitants, notamment en raison d’un environnement sonore préexistant à la vente (CA Rouen 22/03/2023, n°21/03368).
Quid du rôle de l’avocat ?
L’avocat joue un rôle essentiel pour vous accompagner dans la reconnaissance des nuisances sonores en vice caché.
Grâce à son expertise juridique et son rôle de conseil, il saura vous orienter sur les démarches à entreprendre, notamment en vous incitant à faire appel à des experts capables de fournir des preuves objectives des nuisances, qui pour rappel sont des éléments indispensables pour qualifier les nuisances sonores en vice caché.
Par ailleurs, l’avocat pourra vous conseiller sur l’opportunité de saisir le juge des référés afin d’obtenir une expertise judiciaire, qui permettra à un expert impartial et objectif désigné par le tribunal, de constater précisément l’ampleur des nuisances.
Article rédigé par Marie DEBUSSCHERE, stagiaire LBA AVOCATS
Sous la direction de Me Louise BARGIBANT
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